Dans quelle situation professionnelle se trouvent les salariés souhaitant négocier leur départ avec leur employeur ?
La perspective d'un départ suscite bien des questions. Comme vous voyez, ça n'arrive pas qu'aux autres. Et comment font-ils, les autres justement ? Nous vous présentons ici les cas de Pierrick, Nadia, Alexandre et Anne-Marie. Peut-être que vous vous reconnaîtrez dans une de ces situations inspirées de cas réels.
Pierrick, chargé de comptes démotivé sans possibilité d'évolution professionnelle
Chargé de comptes PME chez un assureur, Pierrick a fait le tour de son poste et n’a guère de perspectives d’évolution interne. Il n’a pas de griefs particuliers à adresser à son employeur : il reste performant donc son bonus lui est payé sans difficulté, un département RH bien structuré a veillé à ce que ses conditions d’emploi soient gérées sans accroc, il est correctement traité par ses supérieurs. Mais il est démotivé et souhaite se réorienter. Il est tenté par une création d’entreprise, et pour ce faire, il aurait bien besoin d’une période d’indemnisation chômage.
Pierrick fait donc face à deux risques : celui de s’étioler en restant dans un poste qui le démotive, et celui du saut dans le vide s’il démissionne sans solution d’emploi. C’est la rupture conventionnelle, avec à la clé une indemnité de rupture et un accès à l’allocation chômage, qui permet d’éviter ces deux risques. Mais son entreprise n’est pas réputée pour accepter facilement ce mode de séparation.
Il est clair dans ce contexte qu’une approche consensuelle est de mise : l’employeur de Pierrick comprendra vite que son souhait de départ est essentiellement d’origine personnelle et réagira mal s’il vient prétendre à un « droit à la rupture conventionnelle » ou monte un conflit de toutes pièces pour peser dans la balance. Mais Pierrick veut arriver à ses fins : il doit donc être souple, mais persuasif. Il convaincra peut-être son employeur en (i) se trouvant un projet professionnel pouvant générer de l’empathie (ii) soulignant qu’il n’a reçu aucune formation lui permettant de développer son employabilité, ni aucune perspective d’évolution interne (iii) faisant état de sa bonne foi et de sa bonne volonté qui l’ont poussé à saisir son employeur avant que sa démotivation ne vienne affecter sa contribution à l’entreprise (iv) identifiant des options alternatives au départ qui obligeront son employeur à se positionner et lui feront peut-être accepter la rupture conventionnelle.
Nadia, commerciale en lourd conflit avec son employeur
Nadia connaît bien son métier, elle est commerciale itinérante dans une industrie pharmaceutique. Mais la coupe est pleine : en plus des changements d’organisation incessants, elle est en conflit avec son supérieur qui lui a notifié des objectifs qu’elle juge inatteignables, ce qui réduit ses commissions, et elle est épuisée par son rythme de travail qui ne lui permet pas de prendre tous ses congés et RTT.
Arrivant à un point de rupture, Nadia se résout à tourner la page, mais elle va avoir besoin d’une période de transition ; elle n’est pas prête à se jeter à corps perdu dans son prochain emploi, qu’elle imagine forcément dans le même secteur. Hors de question de démissionner dans ce contexte.
C’est donc à la fois un sentiment d’injustice et une situation d’urgence personnelle qui vont conduire Nadia à une approche vindicative. Elle se lasse de voir ses alertes négligées et décide de passer à la vitesse supérieure. Elle consulte un avocat qui lui propose d’adresser une mise en demeure corsée à son employeur, pointant les multiples disfonctionnements émaillant la relation de travail. Cette lettre, adressée à la direction des ressources humaines, atteindra un interlocuteur différent de son superviseur. En outre, cette lettre sera transmise aux avocats de la société, qui éclaireront sans doute la direction sur les risques du dossier. La discussion entre avocats lui permettra alors de présenter son souhait, c’est-à-dire un départ négocié pour mettre fin à une situation de blocage préjudiciable aux deux parties, mais dans des conditions qui reflètent les torts qui lui ont été faits.
Alexandre, banquier d’Affaires en butte avec la règle professionnelle du « up or out »
Dans l’univers feutré des banques d’affaires, il est des règles non-écrites, au nombre desquelles celle du « up or out » : grimper ou partir. On commence comme analyste, puis on est promu analyste senior, on devient associate, et on accède au titre pimpant de « Vice-president ». Mais la marche suivante est beaucoup plus petite : c’est celle qu’occupent les « managing directors ». Il y a peu d’appelés, et très peu d’élus. Celui qui tente sa chance mais est recalé se verra souvent conduit, par pression ou par fierté, à envisager d’écrire ailleurs la suite de sa carrière. C’est ce qui arrive à Alexandre. Un jour, le patron du bureau de Paris lui rend visite et lui demande, selon l’euphémisme qui a cours, s’il a « réfléchi à ses options ».
Alexandre a un beau train de vie, et des engagements financiers qui sont peu compatibles avec le montant de l’allocation chômage, même s’il touchera le maximum. Il a donc besoin d’une forte indemnité de départ pour envisager sereinement sa transition professionnelle. Or d’une part le bonus annuel qui fait le gros de sa rémunération est sujet à des arbitrages subtils, et d’autre part le barème indemnitaire ne lui fait espérer « qu’un maximum » de 10 mois de salaire, à supposer qu’il assume l’épreuve du procès. Que peut-il envisager pour faire entendre ses prétentions financières ?
Alexandre, avec ses 75 heures de travail par semaine, pourrait réclamer des heures supplémentaires car le régime de forfait-jours dont il relève est plus que sujet à caution. Mais il trouve qu’avec son salaire, cette réclamation serait à la limite de la vulgarité, et son avocat pense que ce serait juridiquement justifié mais mal perçu par un Juge. Alexandre va donc plutôt exploiter deux leviers qu’il a en main : ses relations internes et ses relations externes. Il entretien de bons rapports avec plusieurs grands manitous au niveau du groupe ; ces derniers ne feront pas l’impossible mais pourront recommander qu’on écoute son point de vue avec bienveillance. Surtout, en 10 ans de carrière, Alexandre a noué des contacts très étroits avec les capitaines d’industrie et gestionnaires de fonds d’investissement qui font la clientèle de la banque. Une passation fluide de ses dossiers à son successeur est absolument cruciale pour les intérêts de l’employeur. Alexandre va donc mettre sur la table une coopération et un engagement irréprochables jusqu’au terme de son contrat de travail, tenant ainsi compte des intérêts de son employeur, tout en justifiant la revendication d’un bonus élevé et d’une juste indemnité de départ.
Anne-Marie, secrétaire en quête de reconversion
AD+ est une association qui travaille à l’insertion professionnelle de demandeurs d’emploi en situation fragile. Elle emploie depuis 25 ans Anne-Marie, une secrétaire qui donne entière satisfaction mais nourrit un projet de reconversion : ayant la passion des enfants, elle veut devenir assistante maternelle. Elle a toutefois besoin d’une période de transition pour se faire connaître et réorganiser son logement afin d’obtenir son agrément. Elle réclame pour cela une rupture conventionnelle à son employeur et souhaite de surcroît partir rapidement pour être opérationnelle lors de la rentrée scolaire à venir.
AD+ éprouve de l’empathie pour le projet d’Anne-Marie, mais est doublement embarrassée : elle va perdre une collaboratrice de grande valeur, et se voit demander d’accéder à une rupture conventionnelle impliquant le paiement d’une indemnité minimale de 7,5 mois de salaire. Cette dépense, qui est lourde pour une association qui vit de subventions, est perçue comme injustifiable par le président de la structure qui veut tout sauf se séparer de cette salariée.
Les parties sont confrontées à un problème robuste : pas de rupture conventionnelle sans paiement de cette indemnité minimale, et sans rupture conventionnelle, pas de transition professionnelle douce pour Anne-Marie qui serait réduite à démissionner. Si le paramètre financier est rédhibitoire pour l’association, la situation se soldera peut-être par un compromis aux termes duquel Anne-Marie renoncera à la rupture conventionnelle et démissionnera, mais obtiendra un départ physique immédiat avec prise des nombreux congés restant à solder et une dispense de travail rémunérée de quelques semaines supplémentaires qui lui donnera la passerelle dont elle a besoin. A défaut, peut-être qu’elle se résoudra la mort dans l’âme à un abandon de poste qui conduira son employeur à se séparer d’elle pour faute grave, une sortie un peu triste mais qui lui ouvrira les portes de l’assurance chômage.
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